L'état limite, ou borderline, serait la situation de sujets qui sont à la frontière de la névrose et de la psychose.
Cette entité clinique est l'objet de vifs débats théoriques qui portent sur l'existence même de cette pathologie.
La dualité névrose psychose étant elle même source de vives discussions, il est aisé de comprendre la diversité des approches et les polémiques que peuvent susciter un diagnostic de borderline.
Il est admis de tous qu'il existe des diagnostics difficiles. Il y a des schizophrénies avec peu de signes cliniques. Il existe des formes pseudo-névrotiques de schizophrénie où par exemple une clinique phobique ou obsessionnelle est au premier plan et où il est difficile de retrouver des signes délirants ou dissociatifs. L'état limite n'est-il que la conséquence d'un diagnostic difficile ne traduisant que les limites des possibilités diagnostiques ou bien existe-t-il réellement des malades limites procédant à la fois de la névrose et de la psychose ?
Le borderline peut être une entité clinique sans validité théorique mais en pratique, il désigne des situations cliniques assez vastes relativement fréquentes.
Le but de se cours n'est pas de détailler et de mettre en avant la richesse et la complexité des discussions théoriques mais au contraire de simplifier quitte à caricaturer et déformer.
La clinique des états limites est relativement peu descriptive mais elle s'appuie sur une psychopathologie.
La psychopathologie est en quelque sorte l'équivalent psychique de la physiopathologie. Elle permettrait de remonter au niveau des mécanismes pathologiques qui sont en oeuvre dans la production des signes cliniques.
Cette tentative est hasardeuse car, si on peut entrer dans les corps pour y mesurer et y observer toutes sortes de lésions et de dysfonctionnements, pour entrer dans "les esprits", il faut utiliser toutes sortes de concepts tous plus discutables les uns que les autres. Il est possible d'acheminer vers une des cavités cardiaques une sonde qui mesurera la pression sanguine et ainsi de décrire une physiopathologie du rétrécissement aortique mais le voyage "à l'intérieur du psychique" n'a pas de véritable sonde et les observations qui sont faites doivent être accueillies avec prudence et réserve.
La psychopathologie a repris à sa manière les apports des courants de la psychologie et de la psychanalyse.
Il est possible de séparer (en caricaturant) et de décrire (en simplifiant) trois courants de pensée (2.1 ; 2.2 ; 2.3).
Il y a certes des psychoses sans signes patents, sans délire flagrant mais il n'est pas possible pour un même individu de procéder à la fois de la névrose et de la psychose. Il n'y a pas de zone frontière, il n'y a pas d'état limite (borderline). Les tableaux cliniques pauvres en signes délirants sont désignés comme des schizophrénies pseudo-névrotiques, ou des "psychoses blanches" (psychose sans signe).
Pour certains, il existerait une organisation particulière : la structure. Il est ainsi décrit une structure psychotique, une structure névrotique et une structure perverse. Il existerait d'authentiques psychoses, des "structures psychotiques" où ne sont pas retrouvés les signes classiques de la psychiatrie. Cette approche est fréquente chez ceux qui sont influencés par les travaux de Jacques Lacan (psychanalyste et psychiatre français du siècle dernier). En écoutant la parole du patient, ils savent repérer une "structure psychotique" ou "névrotique". Ceux qui font un diagnostic de borderline ne sauraient pas le faire.
Il existe des courants influencés, entre autre, par la psychanalyse américaine.
Il vont décrire une psychopathologie de l'état limite.
Le Moi est une instance psychique placé entre l'inconscient et "l'extérieur". C'est une sorte de peau. Une de ses fonctions est de lutter et de maîtriser les pulsions de l'inconscient qui ne sont pas toutes convenables (beaucoup de sexe, de destruction, de violence ...).
Dans cette lutte, le moi utilise des mécanismes de défenses. Certains mécanismes de défenses sont normaux et observés chez le névrosé. Il s'agit du refoulement et de la sublimation.
D'autres mécanismes de défense sont pathologiques et s'observent chez le psychotique. Il s'agit du déni de l'idéalisation, de la projection et de l'identification.
Ici est représenté la situation chez l'individu normal ou névrosé. Les pulsions (les flèches noires) partent de l'inconscient (1) et doivent traverser Le Moi (2) pour atteindre leur objet (a).
Toutes ces pulsions ne sont pas acceptables et le Moi va devoir s'en protéger. Pour cela, il utilise ici les mécanismes de défense normaux.
Avec le refoulement, la pulsion ne traverse pas le Moi, elle reste inconsciente.
Grâce à la sublimation, le Moi détourne la pulsion "inacceptable" de son objet initial (a) vers un objet mieux valorisé socialement et acceptable par le Moi (a').
Le trouble psychotique serait une pathologie narcissique. Le Moi est défectueux et il n'est plus capable de se protéger efficacement des pulsions "archaïques" issues de l'inconscient.
L'état limite (borderline) est une situation intermédiaire, une partie du Moi est saine (la partie épaisse sur le schéma) et une autre partie (la partie fine) est défaillante et elle se protège mal des pulsions.
Le clivage serait la caractéristique psychopathologique du borderline. Sa fonction consiste à isoler la partie saine du Moi de la partie défectueuse afin de la protéger d'un envahissement psychotique. L'inconvénient de se mécanisme de défense pathologique est qu'il fait perdre l'unité du Moi. Le déni est la conséquence de ce mécanisme de défense.
Si l'objet d'une pulsion inacceptable est en regard de la partie saine du Moi, celle-ci pourra être refoulée par contre la partie défaillante du Moi la laissera passer. Dans ce dernier cas le Moi utilisera des mécanismes de défenses psychotiques (projection, idéalisation, identification).
La projection consiste à projeter sur l'extérieur, sur les autres, les pulsions inacceptables. Par exemple le Moi perçoit une pulsion violente et destructrice puisqu'elle le traverse mais il attribue aux autres cette violence perçue.
L'idéalisation est un autre mécanisme de défense psychotique. Afin de protéger un objet des pulsions les plus destructrices, le Moi idéalise l'objet réel (parents, ami, conjoint, etc.) en fabricant un objet virtuel plus éloigné et à distance des pulsions dangereuses.
L'identification est proche de la projection. Elle consiste à s'identifier à l'objet afin de le protéger.
D'un point de vue psychopathologique, le borderline ce caractérise par la présence de mécanisme de défenses psychotiques - déni, idéalisation, projection, identification- alors que dans de nombreuses circonstances des mécanismes de défenses normaux (névrotiques) sont possibles - refoulement, sublimation-.
Ce sont des approches très influencées par les courants psychiatriques anglo-saxon et américains. Elles s'accommodent du modèle psychopathologique précédent.
Le borderline est une personnalité pathologique.
D'une manière générale, une personnalité est définie comme un mode durable de comportements, de conduites et un mode durable de l'expérience vécue subjective. Si ce mode est trop stable, trop rigide et peu susceptible d'adaptation cela va gêner l'entourage et/ou la personne et alors constituer une personnalité pathologique.
Les théories de la personnalité peuvent s'accommoder des modèles de la psychopathologie : les mécanismes de défenses utilisés préférentiellement par le sujet constituent sa personnalité. (personnalité hystérique, obsessionnelle, paranoïaque, etc.)
Elles peuvent s'accommoder des modèles biologiques et génétiques : la personnalité à un fondement génétique (le tempérament) qui en fonction de facteurs environnementaux va participer à l'élaboration d'une personnalité.
Dans le DSMIV, les troubles de la personnalité sont isolés (axe II du DSM). Ils constituent des troubles différents des pathologies (axe I).
La question de la personnalité comme facteur de risque ou facteur favorisant une maladie est ainsi ouverte (personnalité obsessionnelle et TOC, personnalité hystérique et conversion, personnalité paranoïaque et paranoïa, etc.).
La personnalité borderline (ou limite) ainsi décrite associe des traits de personnalité évoquant la personnalité psychopathique avec une instabilité affective et relationnelle, une irritabilité, des réactions agressives et coléreuses, des comportements auto et hétéro-agressifs et des traits proches d'un tableau dépressif chronique avec un sentiment de vide et d'abandon, une dépendance avec un besoin d'étayage, une passivité.
Ainsi dans ces approches, les traits de personnalité du Borderline peuvent être la source d'une souffrance pour le sujet ou son entourage (personnalité pathologique). Ils peuvent être considéré comme la résultante d'un terrain héréditaire (origine génétique) ou une certaine organisation psychique (psychopathologie). Cette personnalité favorise des complications psychiatriques de la lignée névrotique, anxieuse, dépressive ou des complications de la lignée psychotique.
Il s'agit de malades difficiles à prendre en charge.
- Une instabilité comportementale et émotionnelle et relationnelle avec des changements d'humeur brutaux et fréquents.
- Le borderline est à la fois dépendant des autres, compte tenu d'une passivité et d'une intolérance à la solitude et à l'abandon, mais dans le même temps ses relations sont houleuses, à la fois fortes et conflictuelles. Les ruptures sont fréquentes.
- Un sentiment de vide. Le sentiment d'être seul et abandonné avec une insatisfaction globale de l'existence.
- Les rencontres sont souvent brèves, la sexualité volontiers chaotique, les acceptations d'inconnu au domicile fréquentes.
- Des passages à l'acte résultants de l'impulsivité. Parfois hétéro-agressifs (bagarres, coups, bris d'objets) mais ils sont le plus souvent auto-agressifs : tentatives de suicides à répétition, automutilations, toxicomanies, boulimie, conduite automobile dangereuse, etc.
Les passages à l'actes sont souvent secondaires à des moments de frustration, d'angoisse et de séparation.
- Les syndromes dépressifs sont fréquents.
- Les manifestations anxieuses aiguës sont volontiers bruyantes (violence, passage à l'acte)
- Des épisodes psychotiques brefs peuvent s'observer avec hallucinations ou des thématiques persécutives. Ils sont rapidement réversibles et critiqués.
Un clivage et un déni avec par exemple une vision dichotomiques des personnes qui seront à la fois proches, attachantes et détestables, méprisables selon les moments. Une incapacité à pouvoir décrire les motifs, les sentiments pouvant expliquer un passage à l'acte violent récent (perte de l'unité du moi).
Une idéalisation de certaines personnes proches décrites comme parfaites, sans défaut, etc.
Une identification à l'autre : "il est comme moi, on est pareil, etc."
Une projection sur l'environnement et l'entourage des affects violents et agressifs : "ne vous mettez pas en colère" alors que tel n'est pas le cas.
Les premières manifestations peuvent s'observer à l'adolescence. Ce diagnostic est souvent révélé après une rupture, des difficultés relationnelles, conjugales, professionnelles.
L'évolution est chronique émaillée de complications psychiatriques.
Les tableaux peuvent être graves avec une répétitions des passages à l'actes, une polytoxicomanie, des hospitalisations itératives, une multiplications d'actes délictueux violents, une précarité sociale et un isolement affectif très mal toléré.
Il n'est pas indispensable d'avoir un avis tranché sur les débats et les positions théoriques.
Il est possible que l'entité borderline ne soit pas une entité clinique pertinente.
Toutefois en pratique, des patients présentant ce tableau clinique sont souvent rencontrés.
Les thérapeutiques médicamenteuses peuvent aider sur certains aspects du trouble.
- Les anxiolytiques contre l'anxiété. Les antidépresseurs pour les complications dépressive, les neuroleptiques pour diminuer l'impulsivité.
- Les médicaments peuvent aussi aggraver le tableau : surconsommation, désinhibition, aggravation de la dépendance et de la passivité, etc.
Des hospitalisations plus ou moins longues ne peuvent pas toujours être évitées. Elles permettent de contrôler l'impulsivité ; elles aident à poser des limites dans les comportements auto et hétéro agressifs ; elles protègent lorsque l'environnement social du sujet est trop néfaste ou trop précaire.
Pour les patients présentant des tableaux cliniques évoquant un borderline, la clinique et la psychopathologie peuvent aider les soignants à ajuster leurs actions et leur relation avec le patient.
Par exemple, un borderline qui reprocherait une attitude agressive à son égard incitera à un peu plus de vigilance : projection ? Chez un borderline qui décrirait son épouse comme une femme parfaite et idéale, c'est avec hésitation, qu'il conviendra de tenter de modérer ses éloges qui résultant d'une "idéalisation" sont des "mécanismes de défenses" qui protègent l'épouse des pulsions violentes du patient.
Il est toutefois préférable de ne pas trop abuser des concepts psychopathologiques qui peut-être, ont une pertinence pratique et descriptive, à un moment donné, pour un patient donné, mais qui reposent sur des fondement théoriques fragiles et discutables.
Novembre 2004 © Serge Delègue
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